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Historique de la Tour Perret d’Amiens

Plus grande que la tour de Pise et que la statue de la liberté, la tour Perret dépasse en 2005, avec son horloge de verre, le Big Ben de Londres. Il faudrait superposer 7,8 Tour Perret pour attendre le sommet de la Burj Khalifa, la tour la plus haute du monde érigée en 2004.

« Maquette du projet d’aménagement de la place Alphonse Fiquet figurant la gare, la gare routière, la tour Perret tour horloge »

Cela dit, la tour Perret détenait en 1952, à son achèvement, le record de la plus haute tour d’Europe! Elle est entièrement construite en béton armé : un matériau composite composé d’une armature en acier sur lequel est coulé, dans un coffrage, le béton liquide. Le béton résistant très bien à la compression et le fer à la traction, l’alliance des deux en fait un matériau idéal pour la construction.

Comme souvent dans la construction, l’invention du béton armé n’est pas l’affaire d’une seule personne.

  • En 1849, alors qu’il cherchait un moyen pour que sa barque en bois ne pourrisse plus, Joseph Louis LAMBOT construit une barque constituée d’une mince paroi de béton de ciment recouvrant un réseau métallique. En 1855, il dépose un brevet sous le nom de «fer-ciment» et l’embarcation est présentée à l’exposition universelle de 1855.
  • En 1854, de grands industriels comme François Coignet l’utilise dans leurs constructions et déposent des brevets.
  • En 1879, François Hennebique, entrepreneur et ingénieur, développe un système de placement des armatures en métal en fonction des contraintes de forces. Il dépose lui aussi un brevet pour ses différentes inventions. Il crée également une revue, «Le Béton armé», pour vanter les capacités de son invention.
  • En 1906, l’architecte et entrepreneur Auguste Perret construit à Paris le garage aérien de la rue Ponthieu. Il s’agit pour lui du premier essai de «béton esthétique» au monde.

Mais le béton armé doit respecter certaines règles de préparations et de conceptions pour qu’il offre toute sa résistance. Même si des règlementations d’utilisation paraissent, il arrive que des accidents ralentissent la confiance du public en ce nouveau matériau. C’est le cas à Paris, le 29 avril 1900 vers 16h, avec l’écroulement de la passerelle menant au Globe Céleste de l’exposition universelle tuant 7 personnes.

À Amiens, le samedi 18 mai 1940 vers 15h, alors que le ciel est dégagé, une douzaine d’avions Stuka bombardent les points stratégiques de la gare du nord, la gare Saint-Roch, le faubourg Saint-Pierre à proximité de la citadelle et la gare de triage de Longueau. Le lendemain, une pluie de bombes tombe sur la ville et provoque un incendie qui dure plusieurs jours. Le matin du 20 mai, les panzers allemands prennent la ville. Le quartier de la gare est détruit. La France entre alors sous le régime collaborationniste de Vichy. Il faut dès lors penser à la reconstruction.

La ville d’Amiens est détruite à plus de 60% lors des bombardements de 1940.

En décembre 1940, le régime du Maréchal Pétain crée l’ordre des architectes à la grande satisfaction de la profession. Un des plus grands architectes français de l’époque en prend la présidence : Auguste Perret. Alors âgé de 68 ans, il est reconnu pour ses constructions en béton armé. Avant la guerre, les frères Auguste et Gustave Perret réalisèrent par exemple Le théâtre des Champs Elysées en 1913, La Tour Perret de Grenoble, construite à l’occasion de l’Exposition internationale de la Houille Blanche en 1924 qui est la première tour en béton armé construite en Europe d’une hauteur de 95 mètres, ou encore, la chapelle de La Colombière à Chalon-sur-Saône en 1929.

Pendant la guerre l’entreprise Perret participe à la construction du mur de l’atlantique pour l’Organisation Todt, groupe de génie civil et militaire du Troisième Reich. En 1942, Pierre Dufau, architecte et urbaniste confie à Auguste Perret la réalisation de la place de la Gare. C’est alors qu’il présente son idée de Beffroi Laïc. Dressé face à la gare, surplombant ce qu’il considère comme l’entrée de la ville, il imagine une tour de 20 étages intégrée dans un ensemble de bâtiments de 4 étages entourant la gare.

Le 23 juin 1943, le projet est déclaré d’utilité publique. Le 27 et 28 mai 1944, quelques jours avant le débarquement de Normandie, un millier de bombes sont lâchées par les américains sur Amiens afin de neutraliser les voix de transports allemandes. La ville est une nouvelle fois ravagée. À la libération, la construction de logement est prioritaire. La tour, comme de nombreux autres bâtiments construits à cette période, est un ISAI (immeuble sans affectation immédiate). Ces bâtiments étaient commandés par le ministère de la reconstruction avant même que l’on sache, pour qui ou pour quoi il sera affecté.

En 1948, Perret présente une nouvelle maquette de la tour avec 24 étages, soit 4 de plus qu’en 1942, et il dit :

« On a écrit beaucoup de bêtises sur cette maison-là. Je fais 24 étages à Amiens parce que ces pays du Nord sont des pays à Beffrois ; Au lieu que mon Beffroi ne serve qu’à porter une horloge et des cloches, il sera habité, voilà tout. 20 étages d’habitations, 4 de services publics, 104 mètres de haut. C’est un beffroi, et voilà tout. »

Auguste Perret parlant de la Tour Perret d’Amiens

Pour Perret, cette tour est le symbole de la reconstruction et de la résurrection de la ville d’Amiens. Le projet d’urbanisme de la gare démarre le 15 novembre 1949. Sous les 3 niveaux de sous-sol, 18 puits de béton type Franky sont enfoncés dans le sol à 9m de profondeur. La première pierre est posée le 22 mai 1950.

Sur les plans, à ce moment là, la tour fait 30 étages. Composée d’une section carrée et classique de 19 étages, d’une section polygonale de cinq étages et de nouveau d’une section carrée de 4 étages. D’une largeur de 15 mètres de côté à la base, la tour est un mélange de cylindres et de carrés. Ce concept est même poussé jusqu’au barreaux des garde-corps.

À l’intérieur de la tour, les niveaux carrés sont très grands pour un seul appartement mais trop petits pour deux. Ils ne correspondent pas aux standards des ISAI de l’époque. Les niveaux sont également trop petits pour accueillir des bureaux d’entreprises comme cela avait été souhaité par Perret. Au dessus, les sections de polygones sont elles, très complexes en terme d’aménagement.

Le drapeau français est issé en haut de la tour en mars 1952 pour l’achèvement du gros œuvre. Aucun projet d’aménagement ne lui a été trouvé. Il est décidé de ne rien entreprendre avant qu’une solution ne soit trouvée. La tour reste donc vide pendant de longues années. La population locale se désole de voir cette immense tour vide au cœur de sa ville qui lui aura finalement coûté 225 millions de francs. En 1954, année de la mort de Perret, une commission ministérielle est même créée pour lui trouver une utilité.

Après 7 ans d’inoccupation, la tour est finalement rachetée par l’architecte français François Spoerry pour 15 millions de francs. Des logements y sont finalement aménagés. L’horloge du projet, initialement prévue sur les plans et maquettes de Perret, aura disparu de la version finale de la tour. La tour est finalement inaugurée le 24 juillet 1960. Dès lors, des entreprises y installent leurs bureaux pour profiter du prestige de la tour. Dans les années 1990, la radio NRJ est installée dans les plus hauts étages pour faciliter la diffusion du signal.

Ce n’est qu’en 2005 que le Beffroi Laïc de Perret donnera finalement l’heure avec le projet d’aménagement de la métropole. Ce ravalement permet de redonner au béton de Perret toute la splendeur de ces teintes. Un sablier de verre ajouté en haut de la tour renforcera sa symbolique de phare de la Picardie. Ce rajout de 6m la fait maintenant culminer à 110m de haut! Imaginé par l’architecte Thierry Van de Wingaert, le sablier de verre indique, lorsqu’il fait nuit, l’heure en fonction de la couleur et du remplissage lumineux du cube. Des scénarios spéciaux sont imaginés pour la nouvelle année, les fêtes de Noël, la journée de la femme, ou d’autres moments spécifiques de l’année. Aujourd’hui, la tour fait partie intégrante de la ville d’Amiens.

Ce phare de béton armé, visible à 10 kilomètres de distance, fait partie de la culture de la ville. Depuis 1975, la tour est inscrite à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques.

« Vue aérienne de la Tour Perret et du quartier de la gare avant 2005 »

Pour parler de sa construction Perret écrivait :

« Mon béton est plus beau que la pierre. Je le travaille, je le cisèle. Par des agglomérats de cassons de granit ou des grès des Vosges […] j’en fais une matière qui dépasse en beauté les revêtements les plus précieux. Le béton est une pierre que l’on reconstitue et qui ne change pas […] Le béton est une pierre qui naît et la pierre naturelle est une pierre qui meurt. »

Auguste Perret parlant du béton